Le De architectura de Vitruve, contemporain d'Auguste, est le traité d'urbanisme le plus complet que nous ait légué l'Antiquité classique. Après avoir défini l'architecture et ses lois, Vitruve pose les principes généraux d'un urbanisme bien entendu (solidité, commodité, beauté). À côté de l'exposition et de l'air, l'eau entre largement en ligne de compte dans les considérations d'hygiène.
Frontin, au début de son Traité des Aqueducs, mentionne le rôle de l'eau au triple point de vue de l'usage, de la salubrité et de la sécurité de la ville. Quant au plan même de la ville, les préférences théoriques, à l'époque romaine, vont généralement à l'échiquier. Ce plan schématique ne restera pas du domaine de la pure théorie : ce sera, en règle générale, celui de toutes les colonies romaines, même si la rigueur du plan schématique doit éventuellement céder devant les nécessités locales.
Venus d'Orient à la fin du XIème siècle, les Étrusques représentent dans l'Italie de clans le principe nouveau de la conception urbaine. Cela se traduit dans l'urbanisme étrusque sous la forme de deux éléments concrets :
Le croisement entre le decumanus (est-ouest) et le kardo (nord-sud) fixe le centre de la ville. Le sillon périmétrique marque l'emplacement du mur fortifié et délimite le pomerium, espace à l'intérieur duquel les magistrats ont le droit de consulter les auspices, où défense est faite d'enterrer les morts et de laisser pénétrer les dieux étrangers, limite religieuse de la cité.
À Rome, le decumanus (Voie Sacrée) et le kardo (Vicus Tuscus et Argiletum) se croisent à angle droit sur le Forum.
Deux siècles après les Étrusques, à la fin du IXeme ou au commencement du VIIIeme, les Grecs, pour la première fois, s'installent sur le sol italique. Ils y établissent la ville avec ses organismes communs, la place publique, le Conseil, le temple de la divinité protectrice. Ces villes de la métropole ou des colonies ont leurs édifices et leurs maisons de pierre, et pour certaines, leurs enceintes fortifiées. La disposition en échiquier est générale; il existe aussi de grands services publics (police de moeurs, bâtiment, voirie).
L'ensemble des collines romaines (Palatin, les trois croupes de l'Esquilin, Quirinal et son annexe le Viminal, les trois hauteurs du Caelius, l'Aventin et le Capitole) se dresse en amphithéâtre sur la rive gauche du Tibre; parmi elles, le Palatin occupe une position centrale. Il était primitivement divisé en deux parties, à l'ouest le Germal, à l'est le Palatium. Aujourd'hui isolée sur ses quatre faces, la colline était autrefois rattachée à l'Esquilin par une croupe rocheuse, la Velia, dont l'arc de Titus occupe le sommet. Au nord, le Capitole est formé de deux hauteurs distinctes, l'Arx à l'est et le Capitole proprement dit à l'ouest, séparées par une dépression centrale, l'Asylum.
Ces diverses hauteurs sont séparées du Tibre par une série de petites plaines et de dépressions, primitivement marécageuses (Vélabre, Forum Boarium, Forum, Champ de Mars, Transtévère...).
Enfin, il ne faut pas oublier l'île du Tibre, située vis-à-vis du Capitole et de la partie méridionale du Champ de Mars. Le Tibre traverse la Rome impériale sur neuf kilomètres, a une largeur moyenne de 80~mètres et une profondeur moyenne de 3~mètres. En aval, mais aussi sur une assez longue distance en amont, il était accessible aux navires de faible tonnage. L'ensemble de la ville (treize régions sur quatorze) se trouvait sur la rive gauche du Tibre.
L'emplacement de Rome représente le lieu de passage naturel entre Étrurie et Sabine d'une part, Campanie et Italie méridionale de l'autre. Tout un réseau de pistes, puis de voies romaines, y convergent, et l'île du Tibre, en rendant plus aisée la traversée du fleuve, vient renforcer ces avantages naturels.
Des déformations se sont produites au fil des siècles à la fois par déformation, exhaussement et aplanissement.
Déformation. L'exemple le plus typique se trouve au Palatin. Domitien, pour élever son nouveau palais, comble la dépression qui sépare le Germal et le Palatium. Caligula et Hadrien d'une part, Septime Sévère de l'autre, prolongent la colline jusqu'au Forum et au Grand Cirque, opérations édilitaires de grande envergure, qui modifient profondément la topographie du Palatin.
Exhaussement. On le vérifie de nos jours pour un certain nombre de monuments antiques de Rome, et il se mesure en mètres. Outre les pluies (le caractère heurté de la topographie, la netteté des dépressions et la raideur des pentes favorisent le comblement des vallées), les causes en sont multiples :
Incendies
Les débris laissés par les incendies sont simplement étalis sur le sol et en exhaussent graduellement le niveau. Le niveau du temps de Rois se trouvait à plus de 11~mètres au dessous du niveau actuel; ceux des constructions impériales, respectivement avant et après l'incendie de Néron, à 3 et 8 mètres au dessus du niveau primitif.
Parmi les incendies qui ont dévasté la Rome impériale, quatre, par leur ampleur et la gravité des dégâts qu'ils ont causés, tiennent une place particulière dans l'histoire édilitaire : celui de 64 sous Néron (plus de six jours), celui de 80 sous Titus, celui de 190 sous Commode et celui de 283 sous Carin. L'incendie de 64 laissa dans la mémoire des contemporains une impression de profonde terreur. La série d'autels colossaux élevés par Domitien, destinés à écarter les incendies, conserva le souvenir du sinistre.
Ces grands incendies sont suivis dans l'histoire de l'urbanisme impérial de périodes de reconstruction intense : aux incendies de 64 et de 69 correspond l'activité constructive de Vespasien, à l'incendie de 80, celle de Titus et de Domitien, à l'incendie de 190 celle de Septime Sévère et à celui de 283 l'activité de Dioclétien.
Tremblements de terre
Moins fréquents, ils laissent cependant des ruines importantes (15 sous Tibère, 51 sous Claude, 59 sous Néron, 191 sous Commode, 217 sous Macrin, 262 sous Gallien...). Certains monuments de la Rome impériale présentent encore des traces visibles de ces divers cataclysmes.
Guerres de rues
Elles apportent aussi leur contingent de ruines. À cet égard, deux sont particulièrement à retenir : en 69, celle qui met aux prises Flaviens et Vitelliens; en 237, les combats acharnés que se livrent pendant plusieurs jours les prétoriens et le peuple de la capitale.
Superposition des monuments
La superposition de constructions publiques ou privées est un phénomène constant à Rome. Par exemple, la Maison d'Or de Néron a été contruite sur les restes de maisons antérieures à l'incendie de 64, et les Thermes de Titus et de Trajan sur l'emplacement de la Maison d'Or, dont les ruines ont été en grande partie étalées sur le sol. Les trois strates superposées sont restées nettement visibles.
Mesures d'hygiène
Au premier siècle de l'Empire, de vastes parcs sont aménagés, particulièrement sur les plateaux de l'Esquilin, du Quirinal et du Viminal. Cette région périphérique, extérieure au mur de Servius Tullius, était occupée sous la République par un vaste zone de cimetières. Sur l'Esquilin en particulier se trouvaient les puits où on jetait pêle-mêle les corps des esclaves, des pauvres, des mendiants et même des animaux. Cette zone constituait en même temps un dépôt d'ordures. À l'instigation de Mécène, Auguste ordonna de recouvrir une partie de cette zone (la région des futurs jardins de Mécène) d'une couche de terre de plus de sept mètres d'épaisseur et d'y planter des jardins.
Considérations militaires
Lors de la construction du mur d'Aurélien, les terres provenant du creusement des fondations et les restes de démolitions ont été rejetées à l'intérieur du mur. Il en est résulté une banquette artificielle.
Aplanissement. Des travaux d'aplanissement ont été réalisés à plusieurs reprises, même si leur ampleur est moindre que celle des exhaussements :
Sur la voie Appia pour en adoucir la pente;
Lors de la construction des Forums Impériaux, en particulier lors de la construction du Forum de Trajan où, pour assurer la communication entre le Forum Républicain et le Champ de Mars, il a fallu raser une partie de la croupe méridionale du Quirinal;
Lors de la construction des Thermes de Dioclétien sur le Quirinal et le Viminal, il a fallu abaisser le niveau des deux collines sur une profondeur moyenne de 7~mètres, pour gagner l'espace nécessaire;
Lors de la construction de l'enceinte d'Aurélien, une série de travaux au moins partiels de nivellement on été fait sur le pourtour extérieur pour augmenter la dénivellation et donc la valeur militaire de l'ouvrage.
La configuration générale du terrain, assez heurtée, se maintient dans l'ensemble pendant toute la durée de la République; seuls les grands travaux urbains de l'Empire réussiront à en altérer profondément le caractère.
Le régime des eaux est caractérisé par son abondance et son irrégularité. Les sources sur le sol de Rome sont très nombreuses. Mais en raison de l'insuffisance des pentes, l'écoulement se fait mal, et cela se traduit par la formation de marécages au pied des collines. La présence de marais entraîne des épidémies de pestilence de loin en loin, mais donne de façon permanente un caractère malsain au climat.
Pour y remédier, les Tarquins réalisent un programme systématique de drainage. Il existe d'autre part des sanctuaires destinés à combattre les miasmes et leurs effets : un temple de la Mefis et trois Autels de la Febris sont connus.
Il y a aussi de nombreuses inondations : en 27, 23, 22, 13, 5 avant J.-C., en 5, 15, 36, 69, 105, sous Hadrien, Antonin et Marc-Aurèle, etc.
En ce qui concerne l'urbanisme, l'État républicain a résolu dans une large mesure les questions primordiales : eaux (la ville possède quatre aqueducs), égouts (l'essentiel du réseau est réalisé), voirie (l'ensemble des rues est pavé), bâtiments publics (nombreux temples, deux cirques, un théâtre, plusieurs basiliques et portiques), approvisionnement et assistance publique avec l'organisation de l'annone.
Mais cette oeuvre comporte de graves lacunes, à différents niveaux :
L'habitat. Dès la fin de la République, ce problème ne comportait qu'une seule solution vraiment satisfaisante, la création de vastes faubourgs. Cependant, les villes antiques n'ont pas de moyens de tranport rapides et économiques.
L'encombrement du centre. C'est dans le centre, sur l'espace restreint occupé par le Forum et le Comitium, que se déroule la vie politique, judiciaire et quotidienne de l'administration.
L'insuffisance du réseau des voies publiques. Aucune communication pratique n'existe au centre de Rome entre le Forum et le Champ de Mars, les deux centres politiques de la Rome républicaine. De même, la ville ne dispose que de trois ponts.
L'avènement du pouvoir impérial va créer de nouveaux besoins. Rome devient en effet résidence impériale, avec les exigences multiples (palais, grands édifices administratifs, casernes) que cela implique. Le fait décisif à cet égard sera la confiscation progressive du Palatin par l'empereur. En second lieu, la pax romana et la prospérité générale accroissent le surpeuplement de la capitale. Cependant, pas plus que la Rome républicaine, la Rome impériale ne connaîtra de plan régulateur général et systématique. Les empereurs se limiteront à des réalisations partielles.
Son but est de donner à l'État romain une capitale digne de lui et capable de rivaliser avec les grandes métropoles hellénistiques. Il se heurte tout d'abord au problème de l'encombrement du centre de Rome et de la rareté des locaux d'habitation. Pour créer de nouveaux lotissements, il est possible d'utiliser au moins partiellement la zone des jardins, ou encore les plaines périphériques. La zone des jardins est d'emblée exclue, annexée par l'empereur, et son intangibilité restera un des principes fondamentaux de l'urbanisme romain sous l'Empire.
Le programme urbain de César comprend donc deux articles :
Le lotissement du Champ de Mars;
L'établissement de communications aisées entre lui et le centre-ville, opération gigantesque qui ne trouvera son achèvement qu'avec Trajan.
Ce plan urbain est matérialisé dans la loi de urbe augenda de juin 45. César est assassiné quelques mois plus tard : son plan a commencé de recevoir un début d'exécution, mais ne sera jamais conduit à son terme.
Un nouveau Forum a été commencé, pour mettre en communication le Forum et le nouveau quartier du Champ de Mars; dès l'année 54, les travaux préparatoires sont vivement poussés à Rome, et l'inauguration du Forum Julium a lieu en 46, lors du grand triomphe de César, mais la décoration n'en était pas encore commencée quand il meurt en 44. C'est Auguste qui achèvera cette oeuvre.
Auguste continue le programme de César en lui apportant de profondes modifications. Il continue les monuments et ensembles monumentaux déjà commencés (Basilica Julia, Curie Julia, Forum de César, Saepta Julia et Théâtre de Marcellus) mais abandonne les plans, trop ambitieux à ses yeux relatifs au lotissement du Champ de Mars et plus encore, à la déviation du Tibre et à la construction du nouveau Champ de Mars dans la région du Vatican.
Il préfère déplacer vers le nord le centre monumental traditionnel de la ville, le fixer au Champ de Mars; aussi lui-même et ses successeurs le couvriront-ils de monuments publics. La construction d'un second Forum Impérial contigu à celui de César poursuit la grande oeuvre de liaison du centre-ville avec le Champ de Mars.
Son règne voit aussi un événement capital dans l'histoire de la Rome urbaine, la création de la Ville aux XIV Régions, avec l'annexion des faubourgs et la division de la ville nouvelle en quatorze régions, et non plus quatre comme auparavant. Cette nouvelle répartition se maintiendra jusqu'à la fin de l'Empire.
La Rome impériale comprend trois grands éléments :
La ville proprement dite (Urbs XIV regionum);
Les faubourgs (continentia);
La banlieue.
Pour la détermination du périmètre des uns et des autres, aucun plan ne nous a été légué par l'Antiquité, même si le tracé des murs d'enceinte (comme celui d'Aurélien) donnent un point de départ à cette évaluation. Des documents importants à cet égard sont les Régionnaires du IVeme siècle, le Curiosum et la Notitia. Rédigés au temps de Constantin et de son fils Constance II, sur la base d'un document administratif et statistique un peu antérieur, ils énumérent par région les principaux monuments.
La superficie totale de la Ville au IVeme siècle peut-ête évaluée à 1 000 ha en chiffres ronds, la quatorzième région (rive droite du Tibre) étant beaucoup plus étendue que les treize autres. Les régions de la Rome impériale de subdivisent en quartiers ou vici; il y en avait 265 au lendemain de la censure de Vespasien (73 ap. J.-C.), et on peut supposer que ce chiffre n'avait pas varié depuis le début de l'Empire. C'était des circonscriptions très petites et très inégales.
Les faubourgs comprenaient sans doute un certain nombre d'immeubles bâtis, mais ils ne représentaient pas une zone d'habitation intense. Ce n'était pas non plus une ceinture continue, mais une urbanisation en forme d'étoile le long des grands axes de communication.
Par son importance et l'esprit de méthode qui y a présidé, le plan d'urbanisme élaboré par Néron à la suite de l'incendie de 64 occupe dans l'histoire de la ville une place exceptionnelle. L'ampleur des destructions de 64 semblaient fournir l'occasion de construire une Rome nouvelle dont les tares chroniques (désordre dans l'habitat, étroitesse et caractère tortueux des rues, hauteur excessive des maisons, utilisation abusive du bois dans la construction, entassement des immeubles) seraient méthodiquement éliminées.
Un plan régulateur, inspiré des principes d'Hippodamos de Milet, la tentative la plus complète et la plus systématique qu'ait connue la Rome ancienne, fut dressé et partiellement réalisé.
Le plan de marbre de Septime Sévère et Caracalla et les vestiges retrouvés à Rome et à Ostie (dont les marais avaient été comblés avec les débris de l'incendie) attestent que le projet de Néron avait été partiellement réalisé. Quelques vestiges du plan de marbre représentent des rues rectilignes, des cours, des immeubles réguliers, éléments caractéristiques de l'urbanisme nouveau.
Dans l'ensemble, la Rome nouvelle de Néron (Nova Roma, par opposition à la Vetus Roma que décrit encore Tacite) se caractérise par l'augmentation de la largeur des rues, la régularité des quartiers, les portiques à arcades le long de la voie publique, la généralisation de la construction en briques, la disparition progressive de la domus particulière (maison classique à atrium et de plan horizontal) au profit des insulae, maisons de rapport, où le surpeuplement et la rareté du terrain trouvaient mieux leur compte.
Pourtant, les réalisations restent strictement limitées :
Tout d'abord, quatre régions n'ont pas été touchées par l'incendie, et les mesures prescrites par Néron (élargissement des rues, régularisation des quartiers, construction de portiques et d'aerae) n'y trouvent pas d'application.
D'autre part, le plan ne résout pas le problème de l'habitat. Les conditions générales de vie à Rome, en empêchant la formation de faubourgs populeux, condamnent la population à s'entasser dans le centre de Rome, et cette nécessité primordiale fait obstacle à tous les plans d'urbanisme. Néron lui-même, en faisant construire sa Maison d'Or sur un immense espace ravi à l'usage du public, contribua à l'échec de son plan.
Ce sont donc en fin de compte deux Rome qui vont coexister. Le plan de marbre de Septime Sévère montre la survivance dans la plus grande partie de la ville de blocs de maisons et de rues sans alignement.